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Le nébuleux phénomène « Kamuina Nsapu » : Réflexion d’un intellectuel

  • diambambam
  • Mar 25, 2017
  • 17 min read

Par Jean-Bosco Kongolo

Au départ banal et confiné dans un coin perdu de l’ex-Kasaï Occidental, le phénomène « Kamwina Nsapu » a pris une telle ampleur que des quatre coins de la République, tout le monde en parle sans vraiment en comprendre les tenants et les aboutissants. En dehors de l’aspect mythique ou mystique qui attribuerait au défunt chef Kamuina Nsapu et à ses sujets des pouvoirs surnaturels, même les ressortissants de ce coin n’en savent pas plus que nous tous sur les causes réelles de ce phénomène ni encore moins les raisons à la base de son expansion. Avant de se raviser, suite aux pressions internes et surtout internationales, pour tenter une approche plus conciliante, le gouvernement de Kinshasa n’a, dans un premier temps, trouvé comme solution que la répression disproportionnée et sanglante. Pendant ce temps, dans la diaspora, certaines voix se font entendre sur les réseaux sociaux, non pas pour proposer des pistes de solution mais, plutôt et malheureusement, pour appeler à soutenir ce mouvement considéré naïvement comme capable d’en découdre avec le pouvoir illégitime de Joseph Kabila.

Considérant que l’élite intellectuelle se rendrait coupable d’observer continuellement le silence, comme si elle ne se sentait pas concernée, nous voulons, à travers ces lignes, réfléchir à haute et intelligible voix sur ce phénomène qui risque d’embraser tout le pays. Nous inspirant largement de la position de la Conférence épiscopale du Kasaï, notre démarche consiste à géo localiser l’épicentre de ce phénomène et à nous interroger sur les facteurs qui l’ont déclenché ainsi que ceux qui en facilitent l’expansion. Un accent particulier sera mis sur les réponses des autorités tant locales que nationales à ce phénomène ainsi que sur les dangers qu’il représente sur le processus électoral ou, globalement, sur la paix et l’unité nationale.

1. Qui est Kamuina Nsapu?

Dans la multitude des clans ou sous-groupes (Bena…, Bakwa…) qui composent la grande ethnie Luba du Kasaï, elle-même composée de grands ensembles Lulua (ex-Kasaï-Occidental) et Luba-Lubilanji (ex-Kasaï-Oriental), se classe celui des Bajila-Kasanga, situé dans le territoire de Dibaya dont fait partie la Cité de Tshimbulu, anciennement chef-lieu du District de la Lulua. Tshimbulu a gardé son statut de cité, contrairement à la plupart des districts du pays, devenus chefs-lieux de provinces démembrées. A la mort du chef coutumier des Bajila Kasanga, son fils du nom de Jean-Pierre Pandi revient d’Afrique du Sud où il était médecin pour succéder à son père, perpétuer la lignée et surtout protéger la population de sa contrée contre les tracasseries policières et administratives. Chez les Bashila Kasanga, Kamuina Nsapu est le titre que porte le chef de groupement lors de son intronisation. Rien d’anormal jusque-là.

2. Les raisons de la rupture entre Kamwina Nsapu et l’autorité de l’État

Ça serait une grave erreur que de vouloir singulariser le phénomène Kamwina Nsapu en omettant de le placer dans le contexte global des réalités sociopolitiques congolaises. Quiconque a eu le privilège de vivre au village et de côtoyer les autorités traditionnelles, se rendrait compte que depuis plusieurs années déjà, le pouvoir coutumier est malmené, déstabilisé et inféodé au pouvoir politique. À partir de Kinshasa et pour des raisons électoralistes, des politiciens impopulaires dans leurs circonscriptions s’arrangent avec des fonctionnaires du Ministère central de l’Intérieur pour s’immiscer, contre les us et coutumes et même contre la loi[1], dans la désignation et l’investiture des autorités traditionnelles. Il s’ensuit pour le Chef ou la lignée injustement déchu ou écarté un sentiment de révolte envers l’autorité publique et, pour le Chef ou la lignée illégalement investis, un sentiment de triomphalisme propice à un climat de nature à troubler la paix et à rompre la cohésion locale. En vertu de l’article 6 de la loi fixant le statut du chef coutumier : « L’exercice des attributions de chef coutumier est subordonné à :

  1. l’existence d’une entité territoriale reconnue;

  2. la présence d’une population;

  3. l’intronisation conformément à la coutume locale;

  4. l’investiture et la reconnaissance par les autorités publiques compétentes ».

De toute ressemblance, c’est l’application de cette disposition qui serait l’élément déclencheur des frustrations de ce médecin revenu d’Afrique du Sud pour occuper le trône laissé vacant par son défunt père : « Selon sa famille, la colère du chef est née de sa frustration de ne pas être reconnu par l’État, puis d’une perquisition musclée chez lui [en son absence] au cours de laquelle des militaires auraient violé ses attributs de pouvoir[et tenté de violer son épouse]. Comment l’insurrection peut s’étendre aujourd’hui dans cinq provinces? Ses proches disent ne rien comprendre. « Ils ont pris le nom du chef comme ça au hasard », s’interroge l’un d’entre eux. La famille de Kamuina Nsapu dit aujourd’hui avoir renoncé à toute violence et attendre toujours que le corps lui soit restitué. »[2]

Cette assertion est également confirmée par la délégation des notables du Kasaï reçus à Kananga par le Vice-Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur du gouvernement Samy Badibanga : « Selon les notables du Kasaï qui ont été reçus à Kinshasa par le VPM Shadari Ramazani, et dont l’un d’entre eux s’est confié à Forum des As, tout serait parti de la frustration née du refus des autorités locales de reconnaître la succession au trône de Kamuina Nsapu. Ce n’est pas tout. Toujours selon cette notabilité, il y aurait eu perquisition du domicile du chef coutumier Kamuina Nsapu, entraînant dans la foulée » le sabotage de sa femme et de ses fétiches »[3].

Mais qui sont ces autorités publiques locales, provinciales ou nationales qui sont à la base de cette frustration? Sur le plan légal, la loi précitée contient des dispositions claires et non équivoques qui désignent les autorités habilitées à s’impliquer dans l’intronisation et l’investiture d’un chef coutumier et ce, selon son rang. Toutefois, il est prudent de signaler qu’au Congo-Kinshasa, les autorités centrales ont pris la fâcheuse habitude de se mêler des petites affaires qui relèvent des entités territoriales ou provinciales. C’est ainsi que de temps en temps, l’on voit le Chef de l’État lui-même se déplacer, souvent par oisiveté, pour aller inaugurer, à l’intérieur du pays, un ponceau ou un édifice non financé par le gouvernement central, là où un administrateur de territoire suffirait pour le faire[4]. Quoi d’étonnant que pour des raisons politiciennes, un Gouverneur de province ou un ministre central ait cherché à s’assurer que le chef coutumier à installer dans le groupement des Bajila-Kasanga n’échappe pas au contrôle de leur famille politique? Voici ce que dit la loi à propos de l’intronisation et de l’investiture d’un chef coutumier:

Article 13

En cas de vacance de pouvoir dans une entité coutumière, l’agent administratif le plus gradé de l’entité avise, par écrit, selon le cas :

  1. le gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie;

  2. le chef de chefferie ou de secteur pour le groupement;

  3. le chef de groupement pour le village.

Article 14

En cas de vacance, le gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie, le chef de chefferie ou de secteur pour le groupement, le chef de groupement pur le village, le bourgmestre pour le groupement incorporé, selon le cas, se rend sur le lieu et dresse le procès-verbal de constat de vacance de pouvoir coutumier.

Article 15

Si le successeur est connu, l’autorité visée à l’article précédent autorise l’installation.

Article 16

Dans le cas où le successeur n’est pas connu, l’autorité visée à l’article 14 de la présente Loi organise l’intérim et ouvre la voie à la succession.

L’intérim du chef défunt est assuré, en tant qu’autorité coutumière, conformément à la coutume locale et en tant qu’autorité administrative conformément à la législation particulière en la matière.

Article 17

Pour pourvoir à la vacance, l’autorité visée à l’article 14 de la présente Loi se rend sur le lieu et dresse les procès-verbaux ci-après :

  1. d’authenticité de l’arbre généalogique;

  2. d’audition des membres de la lignée du prétendant ayant droit à la succession;

  3. de témoignage, selon le cas, des chefs de groupement, des chefs de village et des notables voisins.

3. De proclamation du chef désigné conformément à la coutume locale

Dans le cas d’espèce, étant donné que les Bashila-Kasanga forment un groupement, il est clair que conformément au point 2. de l’article 13 ci-dessus, seul le chef de chefferie ou de secteur était compétent pour organiser la succession au trône de Kamwina Nsapu. C’est par conséquent en violation de la loi que les autorités politico-administratives, toutes issues de la MP et hors mandat, ont cherché à l’écarter sans juste motif. Intellectuel et connaissant ses droits, son refus de se plier aux caprices de ces « autorités » est à la base des tracasseries qui ont déferlé sur lui et sur sa population, déjà paupérisée et clochardisée. D’où sa résolution de former des groupes d’autodéfense populaire.[5] Et ce qui devait arriver, arriva. Selon France 24 : « Début 2016, il milite pour la prise en compte par le gouvernement de ses charges coutumières et pouvoirs mystiques.

« Kamuina Nsapu (…) a fustigé la négligence de l’État congolais depuis son accession à l’indépendance, et a recommandé de reconnaître et faire fonctionner le pouvoir coutumier, émanation naturelle de la nationalité« , expliquait en janvier le vice-Premier Ministre congolais, Emmanuel Ramazani Shadary. Qualifié d’ »illuminé » par les autorités, le chef coutumier lance en avril 2016 une opération de rébellion, après que des policiers ont perquisitionné chez lui en son absence, maltraitant des membres de sa famille. Il exhorte alors « tous les jeunes, mus par une fibre révolutionnaire, de défendre le sol congolais contre la présence des mercenaires étrangers et leur gouvernement d’occupation ». Quelques mois plus tard, au début du mois d’août, Jean-Pierre Pandi, à la tête de plusieurs centaines de miliciens, fait ériger des barricades autour de son village et dans le secteur environnant de Tshimbulu, dans le Kasaï-Central. Plusieurs policiers sont tués, ce qui conduit à une intervention des forces armées congolaises. Les affrontements font 19 morts, dont 11 policiers. Le leader des miliciens, Jean-Pierre Pandi, fait aussi partie des victimes. »[6]

4. Naissance et expansion du phénomène Kamwina Nsapu

Comme on vient de le voir, les revendications originales du Chef Kamuina Nsapu se circonscrivaient dans les limites territoriales de son groupement et ne concernaient au départ que sa population. Son assassinat, suivi de l’enlèvement de son corps, « enterré » à un endroit tenu secret jusqu’aujourd’hui, sur ordre du gouverneur de province, Alex Kande Mupompa et des autorités centrales, a été ressenti par sa famille et ses partisans comme un « casus belli » (occasion de guerre). Ainsi qu’il fallait s’y attendre, l’indignation provoquée par son assassinat et par la profanation de son cadavre n’ont fait que réveiller dans toute la contrée le sentiment de révolte qui couvait depuis fort longtemps contre l’incapacité des pouvoirs publics à résoudre les problèmes de survie de la population. Une fois encore, ce sont les prélats catholiques, toujours plus proches de la population et de ses préoccupations, qui se sont efforcés d’aller au-delà de ce qui est apparent, pour scruter les causes de ce phénomène, et proposer des pistes de solution.

S’agissant de son émergence, les évêques disent que « pour bien comprendre le phénomène Kamwina Nsapu et sa rapide expansion dans plusieurs contrées du Kasaï, il faut éviter de l’enfermer dans les circonstances locales de son émergence, mais le situer dans le cadre de la souffrance à laquelle est condamné tout le Peuple congolais. Pour eux, nous sommes devant un phénomène politique, « l’une de multiples expressions des graves frustrations sociales et politiques que vit toute la population congolaise. » Car, argumentent-ils, « après près de soixante ans d’indépendance, notre Pays tourne en rond et l’État n’arrive pas à assurer aux citoyens les services de base comme la sécurité sociale, les soins de santé, l’hygiène, l’eau potable, l’électricité, l’école et l’habitat. L’impunité est généralisée. La sécurité des personnes et de leurs biens est aléatoire, avec les intimidations, les pillages, les viols, les déplacements des communautés et les massacres que nous connaissons. Les institutions républicaines ne sont pas souvent au service du Peuple ».

Tirant la sonnette d’alarme contre les risques de propagation de ce phénomène et ses conséquences sur l’ensemble du pays, les évêques proposent des pistes de solution. « A la lumière de cette analyse, les Evêques du Kasayi pensent qu’on ne peut répondre adéquatement au phénomène Kamwina-Nsapu qu’en prenant en charge ses véritables causes. Aussi appellent-ils à « un vigoureux réveil des consciences de tous et une détermination à mettre fin au processus de déshumanisation et de marginalisation qui risque de plonger le Pays tout entier dans le chaos ». Ils invitent à redécouvrir la valeur du Bien commun, qui est la raison d’être de l’État et de la communauté politique.

S’adressant particulièrement à l’actuelle génération des politiciens congolais, ils leur rappellent la grandeur et l’importance de leur vocation dans la vie de la Nation : « La construction d’un ordre social et politique respectueux du bien commun et de la dignité inaliénable de la personne humaine sera l’œuvre des politiciens à la hauteur de nos aspirations et d’immenses ressources humaines et matérielles dont dispose le Congo. La politique étant l’une des formes les plus précieuses de la charité au service du bien commun, on y entre seulement pour faire du bien à son Pays et mettre le meilleur de soi-même au service de son Peuple. La politique est une vocation noble, un métier qui ne peut être bien exercé que par des hommes de grands principes.

Le Congo a besoin de politiciens qui aiment leur Pays et qui soient de véritables sentinelles du bien commun, avec un sens élevé de la dignité humaine et de la responsabilité historique. Il est impérieux de bâtir un État de droit, une vraie démocratie favorisant l’alternance en politique. Un tel système est de nature à susciter une nouvelle classe politique plus soucieuse de l’intérêt commun. »[7]

5. Amateurisme et mauvaise foi des pouvoirs publics

A tous les niveaux, local, provincial et national, aucune autorité politique et sécuritaire ne s’est souciée de consulter la loi pour résoudre sans casse le problème de succession au trône dans le groupement des Bashila-Kasanga. Ayant perdu toute légitimité à la suite de l’expiration de leur mandat et/ou faute d’en avoir eu du tout[8], la répression sanglante et sans remord a été l’unique réponse fournie par les autorités congolaises à la population qui ne demandait que le respect de ses droits garantis par la Constitution et les lois de la République. Déterminées à gouverner par défi et n’obéissant qu’aux ordres de leur hiérarchie non autrement identifiée, toutes ces autorités se sont comportées envers la population civile non armée comme s’il s’agissait d’une partie de chasse. Inutile de revenir sur les images aussi macabres qu’honteuses qui ont fait le tour de la planète sans émouvoir le moins du monde Joseph Kabila, qui se complaît dans son rôle de Chef de l’État sans être en mesure d’assumer ses charges constitutionnelles de symbole de l’unité nationale et d’arbitre du fonctionnement régulier des institutions ainsi que de la continuité de l’État (Article 69 de la Constitution).

L’amateurisme, la mauvaise foi et l’incompétence au sommet de l’État se traduisent également par des discours contradictoires tenus, en l’espace de trois jours, par trois ministres du gouvernement au sujet des vidéos montrant les militaires indisciplinés s’adonnant à cœur joie aux massacres de populations civiles soupçonnés d’êtres des terroristes : montage selon Lambert Mende, exercice de tirs selon Ramazani Shadari, Vice-premier Ministre et Ministre de l’Intérieur ou usage excessif de la force selon She Okintundu. « Au gouvernement, chacun doit porter sa part de responsabilité dans le mensonge d’État qui a suivi la diffusion de ces vidéos. Car, entre la propagation de ces images sur les réseaux sociaux et la dernière volonté d’enquêter, il s’est passé beaucoup de choses. En effet, le gouvernement a étalé au grand jour ses contradictions.

Le premier à intervenir, Lambert Mende, avait qualifié ses images de «montage grossier». Il poursuivait en relevant que face à des «images d’amateurs anonymes, il (Ndlr : le gouvernement) ne lui revient […] pas de prouver l’innocence des FARDC» (Forces armées des de la RDC), mais qu’il appartient aux accusateurs, jusque-là inconnus, de prouver ces faits afin que tous les éléments incriminés en répondent conformément à la loi».

Puis est venu le tour du vice-Premier ministre chargé de l’Intérieur, Ramazani Shadari qui, tout en reconnaissant ces images, les avait plutôt assimilées à un exercice militaire de routine. C’est le chef de la diplomatie congolaise, Léonard She Okitundu, qui a posé le premier pas dans la voie de la repentance en reconnaissant sur les antennes de RFI « qu’il y a eu un usage disproportionné de la force par les FARDC », tout en promettant que « tous ceux qui ont commis des actes qui sont inacceptables et répréhensibles doivent subir la rigueur de la loi».[9]

A l’exception de Joseph Kabila et de quelques fanatiques irresponsables, tous les êtres vivants qui peuplent le Congo et la planète réalisent unanimement que pour des raisons politiciennes et de consommation extérieure, le mensonge a été institutionnalisé et érigé en mode de gouvernance. Car, tous ces mensonges sont aujourd’hui contredits par le rapport « partiel » de l’Auditorat Général des forces armées qui, sur pression des organismes de défense des droits de l’homme ainsi que de la communauté internationale, reconnaît non seulement les massacres mais identifie et même inculpe des présumés auteurs de ces barbaries. Le général Joseph Ponde, Auditeur général déclare : « Nous avons mis la main sur sept suspects, tous éléments FARDC. De l’instruction entreprise, de l’exploitation de la vidéo et des descentes sur les lieux du crime, les préventions ci-après ont été retenues à charge des suspects : crimes de guerre par meurtre, crimes de guerre par mutilation, crimes de guerre par traitement cruel, inhumain et dégradant, refus de dénonciation d’une infraction commise par des justiciables ou des juridictions militaires »[10].

Pendant ce temps, ce gouvernement des menteurs reste en place et, pour se donner bonne conscience ou prouver davantage son incompétence et son amateurisme, il trouve enfin qu’il y a nécessité d’exhumer le corps du Chef Kamwina Nsapu pour que soient organisées ses funérailles selon les rites traditionnels du terroir, et qu’il soit procédé à la désignation de son successeur conformément à la coutume. Quel gâchis! « S’agissant de sa succession, elle va être assurée par un nouveau chef coutumier à désigner par la famille régnante, et à entériner par le ministre des Affaires Coutumières, qui va se rendre au village de feu Kamuina Nsapu dans deux semaines en vue de son investiture »[11].

Mais dans quelle disposition de la loi fixant le statut du Chef coutumier (voir les articles invoquées ci-dessus) est-il dit que l’investiture d’un chef de groupement relève de la compétence du gouvernement, qu’il soit provincial ou central? Encore une preuve de l’incompétence et de l’amateurisme ! C’est comme si les lois n’existaient que pour garnir le Journal officiel et non pour être appliquées, même par ceux qui en sont des initiateurs. Enfin, sous d’autres cieux, étant donné la gravité des faits, le gouverneur de province, (le sieur Alex Kande Mupompa), à l’origine de ces tueries en masse, serait sommé de présenter sa démission. Il n’a plus la confiance de ses administrés. Pourrait-il remettre ses pieds à Tshimbulu ?

6. Quelles leçons tirer du phénomène Kamwina Nsapu ?
A. Sur le plan social

Contrairement aux mouvements de rébellion et autres milices qui ont vu le jour dans d’autres provinces du pays et qui ont des motivations politiques ou économiques, le phénomène Kamwina Nsapu n’est ni organisé ni structuré. Son apparition presque spontanée et son expansion rapide à travers le Grand Kasaï est à la fois l’expression du grand fossé qui sépare les gouvernants et les gouvernés ainsi que des frustrations longtemps accumulées par une population abandonnée par son élite tant intellectuelle que politique. À titre d’information, le gouvernement Badibanga compte seize ministres originaires du Grand Kasaï et parmi eux, Clément Kanku est originaire du territoire de Dibaya, chez Kamwina Nsapu[12].

Nous avons l’impression que cette grande représentation, quasi unique dans l’histoire du Congo, répond à un agenda caché. Tous les seize ministres sont aphones en ce moment face aux massacres de leurs jeunes frères et sœurs. Messieurs les ministres originaires du Grand Kasaï, votre «autorité morale» vous fera porter l’odieux de ce régime finissant, et malheureusement, à travers vous, tous les peuples du Grand Kasaï. Ne l’oubliez pas. À l’image de presque toutes les provinces, la Troisième République n’a été qu’un leurre pour les habitants du Grand Kasaï, qui ont toutes les raisons de croire qu’ils sont les laissés-pour-compte des politiciens : détérioration avancée des voies de communication, accélération du chômage et de la pauvreté, baisse accrue du taux de scolarité et du niveau de vie, soins de santé quasi inaccessible au grand nombre, etc. Dans la plupart des cas, ceci explique pourquoi les symboles de l’État (édifices publics) et de sa puissance (policiers et militaires) sont pris pour cibles.

Au moment où nous couchons ces lignes et où les projecteurs ne sont essentiellement orientés qu’en direction de Tshimbulu et Kananga, plus au Sud dans les territoires de Luiza (Kasaï Central) et de Luilu (province de Lomami), plusieurs paroisses et couvents sont vandalisés par des inciviques. Se réclamant de Kamwina Nsapu sans en avoir aucun lien géographique ni culturel, c’est sur des croyances superstitieuses qu’ils jouent pour tenir en respect une ville comme Muene-Ditu (près d’un million d’habitants) et des cités où l’on trouve pourtant une police bien structurée, un bataillon de militaires armés et des services de renseignements souvent zélés lorsqu’il s’agit de traquer les opposants et les paisibles citoyens.

Des correspondants anonymes et même des personnes suffisamment instruites nous écrivent soutenant que les Kamwina Nsapu ont une capacité de se multiplier de sorte qu’à quatre au moment de leur incursion, leur nombre peut atteindre 200 ou 300, de façon mystique. Comme conséquences, des barrières policières sont érigées un peu partout restreignant la liberté d’aller et de venir[13] et empêchant les paisibles populations de vaquer à leurs occupations agricoles ou commerciales tandis le calendrier scolaire est sérieusement compromis.

B. Sur le plan politique, sécuritaire et judiciaire

Sur le plan officiel et médiatique, la thèse la plus répandue est celle de l’insurrection du Chef Kamuina Nsapu contre les pouvoirs publics. Personne ne relève cependant qu’à ce jour, les autorités coutumières sont les seules à détenir une authentique légitimité, non issue d’élections trichées. En engageant un bras de fer avec les autorités provinciales, Jean-Pierre Pandi, homme instruit, n’avait fait que rappeler à celles-ci que la loi fixant le statut de chef coutumier ne leur permettait nullement de s’immiscer dans la désignation et, encore moins dans l’intronisation de celui-ci.

Légalement, s’il faut désigner les rebelles, ce sont toutes ces autorités, du sommet à la base, qui foulent aux pieds la Constitution et les lois de la République pour s’imposer et se maintenir au pouvoir par les armes au-delà de leurs mandats. «A l’heure qu’il est, le Congo-Kinshasa est le seul pays au monde où, à l’exception du Pouvoir judiciaire dont les membres ne sont pas élus, toutes les institutions ont perdu complètement leur légitimité et ce, de la base au sommet. Au niveau de la base, il convient de relever que depuis le lancement de la Troisième République, les élections locales et municipales n’ont jamais été organisées. Cette situation, qui ne préoccupe pas ceux qui gouvernent par défi, fait que les organes exécutifs et délibérants des entités locales et municipales sont dirigés depuis déjà plus de dix ans par des autorités de fait, illégalement nommées par le pouvoir central ».[14]

Pour des raisons électoralistes, le démembrement des provinces a été accéléré dans le seul but de placer à leur tête et à la tête des entités territoriales décentralisées des autorités acquises à la cause d’une seule famille politique et d’un seul individu non respectueux des règles sociales.

Au moyen de l’instrumentalisation de l’armée, de la police, de la justice, des services des renseignements et des médias publics, tout le monde est obligé de se soumettre ou alors c’est la répression sous toutes ses formes, y compris par le sang, qui s’abat aussi bien sur des individus ( hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux), peu importe leur rang social, que sur des communautés.[15] Les massacres barbares qui ont eu lieu dans le Kasaï Central et que le gouvernement a cherché à occulter, témoignent de l’indiscipline de cette armée payée par le contribuable congolais mais qui n’est au service que d’un individu. De même, il ne faut rien attendre de la justice instrumentalisée qui n’atteindra jamais les donneurs d’ordres, comme il a été le cas dans le dossier d’assassinat de Floribert Tchebeya et son chauffeur. Fallait-il assassiner Kamuina Nsapu pour reconnaître par la suite qu’il mérite des funérailles dignes selon les rites ancestraux et pour que sa famille désigne son successeur?

Avec la conscience chargée et incapable d’expliquer pourquoi les services de renseignement ne sont pas en mesure de prévenir et/ou de contenir l’expansion de ce phénomène à travers d’autres provincettes du Grand Kasaï, le Ministre de l’Intérieur a procédé sélectivement à des sanctions ciblées contre le Maire de la ville de Muene-Ditu et son adjoint qu’il a suspendus pour désigner comme intérimaire à la mairie, une dame Ministre de l’intérieur, Fidélie Kabinda, du gouvernement provincial de Lomami (ex-district de Kabinda). Pourquoi les mêmes sanctions n’ont-elles pas été infligées au gouverneur Kande Mupompa et à son adjoint?

Conclusion

Dans les médias et principalement sur les réseaux sociaux, chacun, selon sa source, donne sa version sur le phénomène Kamuina Nsapu. A cause du mutisme ou des mensonges du gouvernement sur les causes réelles de ce mouvement ainsi que de la manière chaotique d’y apporter des solutions, des bandits de tout bord en profitent pour enquiquiner les paisibles populations du Kasaï sous une fasse appellation de Kamuina Nsapu. Face au danger que présente l’expansion de ce phénomène sur la paix sociale, la cohésion nationale et le processus électoral en cours, le devoir de tout intellectuel consiste à faire la différence en réfléchissant et en éclairant l’opinion sur ce qui se passe réellement.

Sans prétendre détenir le monopole de la vérité, nous avons constaté que le défaut de l’alternance politique, l’absence ou la perte de légitimité par les autorités en place, leur refus de respecter les lois de la République et leur incapacité de s’occuper correctement du vécu quotidien de la population, sont les principales causes des foyers de tensions qui s’observent ça et là à travers tout le pays. Plutôt que de se tromper de cibles en encourageant ce genre de mouvements qui ne font que compromettre le processus électoral, il serait souhaitable et responsable de trouver d’autres moyens plus intelligents et plus organisés de débarrasser le Congo, conformément à l’article 64 de la Constitution, du groupe d’individus sans mandat et sans légitimité, qui ont confisqué le pouvoir à leur seul profit.

Jean-Bosco Kongolo M. Juriste &Criminologue


 
 
 

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